Aurobindo Ghose : « Aryen : race ou culture ? »

Nous (…) remarquons ce qui concerne l’usage chez un grand nombre de peuples, en connexion avec une répartition des fonctions sociales en trois catégories, ces trois mêmes couleurs symboliques: blanc, rouge, noir (ou bleu foncé), qui sont précisément (…) celles qui correspondent aux trois gunas dans la tradition hindoue. (René Guénon, Comptes rendus, juillet-aout 1948).

[Voir l’article de G. Dumézile : « Tripertita » fonctionnels chez divers peuples indo­européens. Voir aussi plus bas, annexe.]

Ci-dessus : Schéma tiré de René Guénon – Etudes sur l’hindouisme. [Voir plus bas la note 3.]

 Shri Aurobindo

ARYEN : RACE OU CULTURE ?

Voici ce que Sri Aurobindo, poète, révolutionnaire et yogi indien entendait par le terme « Aryen », mot trop souvent mal utilisé et mal compris en Occident. Ce texte est extrait d’une réponse que Sri Aurobindo donna à un lecteur de « l’Arya », une revue qu’il éditait au début du 20ème siècle. [Source]

Les Indiens connaissent ce mot, mais il a perdu pour eux l’importance qu’il revêtait pour leurs ancêtres. La philologie occidentale en a fait un terme ethnologique lié à une race mal définie dont varie la valeur suivant les hypothèses. Il en est, maintenant, qui même parmi les philologues, commencent à reconnaître que ce terme, en son emploi originel, exprimait non une différence de race, mais une différence de culture. Dans le Véda, en effet, les peuples aryens sont ceux-là qui avaient accepté un mode particulier de culture de soi, d’entraînement intérieur et extérieur, d’idéalité, d’aspiration. Les dieux aryens étaient les puissances supra-physiques aidant les mortels dans leur lutte pour acquérir la nature de la divinité. Ce mot ârya résumait à lui seul les plus hautes aspirations de la race humaine à son début, son plus noble tempérament religieux et les tendances les plus idéalistes de sa pensée.

     Plus tard, le mot ârya exprima un idéal éthique et social particulier, un idéal de vie bien conduite, de sincérité, de courtoisie, de noblesse, de loyauté, de courage, de bienveillance, de pureté, d’humanité, de compassion, de protection des faibles, de générosité, d’observance du devoir social, de soif de connaissance, de respect pour les sages et les savants et les réalisations sociales. C’était l’idéal à la fois du brâhmane et du kshatriya (1). Tout ce qui s’écartait de cet idéal, tout ce qui tendait à être vil, mesquin, obscur, grossier, cruel ou faux était qualifié de non aryen. Aucun mot du langage humain n’a de plus noble histoire.

(1) Brâhmane et Kshatriya : la caste sacerdotale et la caste militaire.

    Aux premiers temps de la philologie comparée, lorsque les érudits cherchèrent dans l’histoire des mots l’histoire préhistorique des peuples, on crut que le mot ârya dérivait de la racine ar, labourer, et que les Aryens védiques furent ainsi nommés quand ils se séparèrent de leurs parents du Nord-Ouest, qui méprisaient les travaux d’agriculture et demeurèrent bergers ou chasseurs. Cette hypothèse ingénieuse n’a guère ou même point de base. Mais en un sens, nous pouvons accepter la dérivation. Quiconque cultive le champ que l’Esprit Suprême a fait pour lui – sa terre de plénitude intérieure et extérieure – quiconque ne le laisse pas sans produire ni ne permet que l’ivraie l’étouffe, mais travaille pour en tirer tout ce qu’il peut donner, celui-là, par cet effort même, est un Aryen.

      Si ârya n’était qu’un terme de race, une étymologie plus vraisemblable serait ar, force ou vaillance, qui vient de ar, combattre, d’où Arès, le nom du dieu grec de la guerre, et peut-être même aréïos, vertu, qui a d’abord, comme le latin virtus, le sens de force et de courage physiques, puis celui de force et d’élévation morales. Nous pouvons aussi accepter ce sens pour ârya. « Nous combattons pour acquérir la Sagesse sublime, c’est pourquoi les hommes nous appellent guerriers. » Car la Sagesse implique choix et connaissance de ce qui est le meilleur, le plus lumineux, le plus divin. Certainement, elle signifie aussi la connaissance de toutes choses, la charité et le respect à l’égard de toutes choses, même de celles qui paraissent les plus misérables, les plus laides ou les plus obscures, pour l’amour de la Déité universelle qui choisit de demeurer également en toutes. Mais encore, la règle de l’action correcte est un choix, c’est préférer ce qui exprime la divinité à ce qui la dissimule. Et le choix entraîne une bataille, une lutte. On ne le fait pas facilement et on ne le met pas facilement en pratique.

      Quiconque fait ce choix, quiconque cherche à s’élever de palier en palier vers la hauteur divine, sans rien craindre, sans se laisser rebuter par aucun retard ni aucun échec, sans se dérober devant une vastitude parce qu’elle est trop vaste pour son entendement, ni devant une hauteur parce qu’elle est trop haute pour son esprit, ni devant une grandeur parce qu’elle et trop grande pour sa force et son courage, celui-là est l’Aryen, le combattant et le vainqueur divins, le noble, aristos, le meilleur, le shreshtha de la Guîta.

     Intrinsèquement, dans son sens le plus fondamental, ârya veut dire effort, ascension, triomphe. L’Aryen est celui qui combat et triomphe de tout ce qui, en lui ou hors de lui, fait obstacle au progrès humain. La conquête de soi est la première loi de sa nature. Il triomphe de la matière et du corps et n’accepte pas, comme le fait l’homme ordinaire, leur pesante lenteur, leur inertie, leur routine mortelle et leurs limitations tamasiques (2). Il triomphe de la vie et des énergies vitales et refuse d’être dominé par leurs faims et leurs fringales ou asservi par leurs passions râdjasiques (3). Il triomphe du mental et de ses habitudes, il ne vit pas dans une coquille d’ignorance, de préjugés héréditaires, d’idées communes, d’opinions agréables mais sait comment chercher et choisir, comment être d’une intelligence large et souple, tout en ayant une volonté ferme et forte. Car en toutes choses, il recherche la vérité, en toutes choses la justice, en toutes choses la grandeur de la liberté.

     Pour lui, le but de sa conquête de soi est sa propre perfection. Il ne détruit pas donc pas ce qu’il conquiert, mais l’ennoblit et le complète. Il sait que le corps, la vie et le mental lui sont donnés afin qu’il parvienne à quelque chose qui leur soit supérieur ; ceux-ci doivent donc être dépassés et surmontés, leurs limitations repoussées, et l’assouvissement de leurs plaisir rejeté. Mais il sait également que le Très-Haut n’est pas une nullité dans le monde, mais qu’Il s’y exprime de plus en plus, que c’est une Volonté, une Conscience, une Béatitude divine, un Amour divin se déversant, dans les termes de la vie inférieure, sur celui qui Le trouve et, alentour sur tout ce qui est capable de Le recevoir. C’est cela qu’il cherche, et il en est le serviteur et l’amant. Quand il l’a atteint, il le répand sur l’humanité sous forme d’activité, d’amour, de joie et de connaissance. L’Aryen, en effet, est toujours un travailleur et un guerrier. Il ne s’épargne aucun labeur mental ou corporel, soit qu’il cherche le Très-Haut, soit qu’il Le serve. Il n’esquive aucune difficulté, ni ne cède à la fatigue. Il combat sans cesse pour l’avènement de ce royaume en lui-même et dans le monde…

(2) Tamasique : de tamas, le principe d’inertie.

(3) Radjasique : de radjas, le principe du dynamisme.  [Note du blog : Sur ce sujet voir René Guénon Le Symbolisme de la Croix chap.V : Théorie hindoue des trois gunas, et Études sur l’hindouisme : La théorie hindoue des cinq éléments.]

Sri Aurobindo
(Inde Nouvelle et libre, Pondichéry)

ANNEXES

 René Guénon dans son Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues, au chapitre intitulé « l’influence allemande » (inclut dans l’édition de 1921 et supprimé ensuite) :


« Les Allemands s’y sont pris fort habilement pour préparer la suprématie intellectuelle qu’ils rêvaient, en imposant à la fois leur philosophie et leurs méthodes d’érudition ; leur orientalisme est, comme nous venons de le dire, un produit de la combinaison de ces deux éléments. Ce qui est remarquable, c’est la façon dont ces choses sont devenues des instruments au service d’une ambition nationale ; il serait assez instructif, à cet égard, d’étudier comment les Allemands ont su tirer parti de la fantaisiste hypothèse de l’« âryanisme », qu’ils n’avaient d’ailleurs point inventée. Nous ne croyons point, pour notre part, à l’existence d’une race « indo-européenne », même si l’on veut bien ne pas s’obstiner à l’appeler « âryenne », ce qui n’a aucun sens ; mais ce qui est significatif, c’est que les érudits allemands ont donné à cette race supposée la dénomination d’« indo-germanique », et qu’ils ont apporte tous leurs soins à rendre cette hypothèse vraisemblable en l’appuyant de multiples arguments ethnologiques et surtout philologiques. Nous ne voulons point entrer ici dans cette discussion ; nous ferons seulement remarquer que la ressemblance réelle qui existe entre les langues de l’Inde et de la Perse et celles de l’Europe n’est nullement la preuve d’une communauté de race ; il suffit, pour l’expliquer, que les civilisations antiques que nous connaissons aient été primitivement apportées en Europe par quelques éléments se rattachant à la source d’où procédèrent directement les civilisations hindoue et perse. On sait, en effet, combien il est facile a une infime minorité, dans certaines conditions, d’imposer sa langue, avec ses institutions, à la masse d’un peuple étranger, alors même qu’elle y est ethniquement absorbée en peu de temps ; un exemple frappant est celui de l’établissement de la langue latine en Gaule, où les Romains, sauf dans quelques régions méridionales, ne furent jamais qu’en quantité négligeable ; la langue française est incontestablement d’origine latine à peu près pure, et pourtant les éléments latins ne sont entrés que pour une bien faible part dans la formation ethnique de la nation française ; la même chose est d’ailleurs vraie pour l’Espagne. D’un autre côté, l’hypothèse de l’« indo-germanisme » a d’autant moins de raison d’être que les langues germaniques n’ont pas plus d’affinité avec le sanskrit que les autres langues européennes ; seulement, elle peut servir à justifier l’assimilation des doctrines hindoues à la philosophie allemande; mais, malheureusement, cette supposition d’une parenté imaginaire ne résiste pas à l’épreuve des faits, et rien n’est en réalité plus dissemblable qu’un Allemand et un Hindou, intellectuellement aussi bien que physiquement, si ce n’est même plus encore ».  

Commentaire de la citation précédente (message extrait d’un forum fermé et définitivement inactif) :

Bismillah wa salat wa salam ‘ala rassulillah,
As-salam ‘aleykum wa rahmatullah wa barakatuh.

René Guénon avait écrit clairement qu’il ne croyait pas en l’existence de la race indo-européenne indépendamment des considérations sur la race âryenne puisqu’il affirmait : « Nous ne croyons point, pour notre part, à l’existence d’une race « indo-européenne », même si l’on veut bien ne pas s’obstiner à l’appeler « âryenne », ce qui n’a aucun sens ». Et la raison invoquée est indépendante de toutes les découvertes par la « méthode historique » antérieures, contemporaines ou postérieures à la date d’impression de l’Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues (1).

Ceci n’empêche pas que des peuples de l’Europe, de l’Inde ou de la Perse aient pu avoir des langues ou des structures sociales qui se ressemblent d’une façon ou d’une autre, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’il y avait une communauté de race ou même de « culture » comme l’expliquait René Guénon :

« nous ferons seulement remarquer que la ressemblance réelle qui existe entre les langues de l’Inde et de la Perse et celles de l’Europe n’est nullement la preuve d’une communauté de race ;  il suffit, pour l’expliquer, que les civilisations antiques que nous connaissons aient été primitivement apportées en Europe par quelques éléments se rattachant à la source d’où procédèrent directement les civilisations hindoue et perse. On sait, en effet, combien il est facile a une infime minorité, dans certaines conditions, d’imposer sa langue, avec ses institutions, à la masse d’un peuple étranger, alors même qu’elle y est ethniquement absorbée en peu de temps ; un exemple frappant est celui de l’établissement de la langue latine en Gaule, où les Romains, sauf dans quelques régions méridionales, ne furent jamais qu’en quantité négligeable ; la langue française est incontestablement d’origine latine à peu près pure, et pourtant les éléments latins ne sont entrés que pour une bien faible part dans la formation ethnique de la nation française ; la même chose est d’ailleurs vraie pour l’Espagne.» (2).


De même, le fait que l’on retrouvait aussi bien en Inde, Perse et Europe quelque chose qui ressemble à ce que Dumézil appelait fonctions tripartites (sacerdotale, guerrière, production) ne reflète pas une unité de race ou de « culture », mais d’une unité de doctrine métaphysique (3) qui trouve son application dans l’ordre social (4). Par ailleurs René Guénon affirmait : « il est très remarquable que l’organisation sociale du moyen âge occidental ait été calquée exactement sur la division des castes, le clergé correspondant aux Brâhmanes, la noblesse aux Kshatriyas, le tiers-état aux Vaishyas, et les serfs aux Shûdras » (5).

(1) Cf. Questions de chronologie : « les archéologues et les orientalistes seraient assez mal venus à invoquer contre nous un enseignement oral, ou même des ouvrages perdus, la « méthode historique » à laquelle ils tiennent tant a pour caractère essentiel de ne prendre en considération que les monuments qu’ils ont sous les yeux et les document écrits qu’ils ont entre les mains ; et c’est là, précisément, que se montre toute l’insuffisance de cette méthode (…) Maintenant, il est un autre fait dont ne peuvent guère tenir compte, sans être en désaccord avec eux-mêmes les partisans de la « méthode historique » : c’est que l’enseignement oral a précédé presque partout l’enseignement écrit, et qu’il a été seul en usage pendant des périodes qui ont pu être fort longues, encore que leur durée exacte soit difficilement déterminable ».
(2) Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues. Chapitre : « L’influence allemande ».
(3) « L’organisation que nous trouvons dans l’Inde est celle qui représente le type le plus complet, en tant qu’application de la doctrine métaphysique à l’ordre humain » (René Guénon, Autorité spirituelle et pouvoir temporel, chap.III : Connaissance et action).
(4) Cf. Principe d’unité des civilisations.
(5) Autorité spirituelle et pouvoir temporel, chap.III : Connaissance et action.  


René Guénon : compte-rendu sur une « nouvelle théorie de la race » de Julius Evola.

rene-guenon-1925

Dans la Vita Italiana (n° de septembre), M. J. Evola envisage une « nouvelle théorie de la race », dans laquelle, à vrai dire, le mot même de « race » nous paraît n’être plus employé que d’une façon assez impropre et détournée, car, au fond, c’est bien plutôt de la « caste » qu’il s’agit en réalité. Il est vrai qu’il fait une distinction entre ce qu’il appelle les « races de nature » et les races qui possèdent une tradition; il n’admet d’équivalence qu’entre ces dernières, en quoi il a assurément raison; seulement, il n’existe point de « races de nature », car toute race a nécessairement une tradition à l’origine, et elle peut seulement l’avoir perdue plus ou moins complètement par dégénérescence, ce qui est le cas des peuples dits « sauvages », comme lui-même semble d’ailleurs le reconnaître dans une note; et ne faudrait-il pas ajouter que ce cas est aussi celui des Occidentaux modernes ? Peut-être est-ce là, au fond, ce qu’implique une phrase exprimant le regret que certains peuples colonisateurs prétendent exercer un droit de conquête, « non seulement sur des peuples sauvages, mais sur d’autres qui ont une haute civilisation traditionnelle », et qu’ils « ne sachent recourir, pour fonder ce droit, qu’à une différence de couleur de peau et à la « civilisation moderne » rationaliste, matérialiste et technique, qui est bien la dernière qui soit susceptible de justifier un droit spirituel à l’hégémonie »… D’autre part, l’auteur paraît tendre à accepter la théorie d’après laquelle la distinction des castes, dans l’Inde, aurait été en rapport avec une différence de race, théorie qui ne repose que sur une fausse interprétation du mot ârya; remarquons aussi, à ce propos, que dwija (et non dwidya) ne signifie point « divin », mais « deux fois né », et que ce n’est pas de naissance que cette qualité appartient aux membres des castes supérieures, mais du fait de l’accomplissement d’un certain rite, pour lequel eux seuls sont d’ailleurs « qualifiés ». Quoi qu’il en soit, il finit par considérer, à l’intérieur d’une même race ou d’un même peuple, des différences excluant toute équivalence possible (contrairement à ce qui a lieu entre les castes correspondantes de races ou de peuples divers), différences qui ne sont pas d’ordre simplement « biologique », mais qui ont un véritable fondement spirituel; s’il en est ainsi, c’est bien des castes qu’il s’agit en définitive, et, à cet égard, nous ne pouvons qu’être tout à fait d’accord avec lui; mais alors pourquoi parler encore de « race », si ce n’est par une concession plutôt fâcheuse à certaines idées courantes, qui sont assurément fort éloignées de toute spiritualité ?

(René Guénon, Revue Editions Traditionnelles, novembre 1938).

René Guénon : Compte-rendu du livre « Il Mito del Sangue » de Julius Evola.

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J.EVOLA. Il Mito del Sangue (Ulrico Hoepli, Milano). – Ce petit volume est une histoire du racisme, depuis les théories du comte de Gobineau et de Vacher de Lapouge, puis de Houston Stewart Chamberlain, jusqu’aux nouveaux développements qu’il a reçu récemment en Allemagne et qui y ont revêtu le caractère d’une doctrine en quelque sorte « officielle ». Le terme de « mythe » n’est pas pris ici dans le sens d’une simple fiction imaginative, mais dans celui d’une « idée qui tire principalement sa force persuasive d’éléments non rationnels, une idée qui vaut par la force suggestive qu’elle condense, et, par suite, par sa capacité de se traduire finalement en action ».

L’auteur, s’efforce d’ailleurs d’être aussi impartial que possible dans son exposé, bien que, naturellement, il ne dissimule pas les contradictions qui existent entre les diverses conceptions dont l’ensemble constitue le racisme, et que parfois il laisse même deviner les critiques générales qu’il aurait à leur adresser, critiques qui portent surtout sur le caractère « naturaliste » et « scientiste » qu’elles présentent dans la plupart de leurs aspects.

A vrai dire, la notion même de race est assez difficile à préciser, d’autant plus qu’on est en tout cas forcé de reconnaître qu’actuellement il n’existe nulle part de race pure ; ce qui est plutôt singulier, d’autre part, c’est que les races ou soi-disant telles qu’envisagent les anthropologistes et les préhistoriens, dont les travaux sont plus ou moins à la base de toutes les théories en question, n’ont plus absolument rien à voir avec les races qui furent reconnues traditionnellement de tout temps ; il semblerait que le mot soit pris là en deux sens totalement différents.

Un point, par contre, ou ces théories se sont totalement rapprochées des données traditionnelles, c’est l’affirmation, si longtemps perdue de vue en Occident, de l’origine nordique ou hyperboréenne de la civilisation primordiale : mais, là encore, bien des confusions et des interprétations fantaisistes ou hypothétiques se mêlent, dans des ouvrages comme ceux d’Herman Wirth par exemple, à la reconnaissance de cette vérité.

Tout cela, au fond, et même dans les éléments valables qui s’y rencontrent, ou, si l’on préfère, dans la façon dont ils sont traités, relève donc certainement bien plutôt de la « recherche » moderne que de la connaissance traditionnelle ; et c’est bien pourquoi le point de vue « naturaliste » qui est essentiellement celui des sciences profanes, ne saurait guère y être dépassé ; quant à savoir ce qui sortira finalement de ce véritable « chaos » d’idées en fermentation, c’est là, assurément, une question à laquelle l’avenir seul pourra apporter une réponse.

(René Guénon, Compte rendu de livre, Editions Traditionnelles, Juillet 1937).