Rama Coomaraswamy - LES FONDEMENT DE LA PENSÉE ÉVOLUTIONNISTE

[ publié dans la revue Vers La Tradition N°72.]

La nature fondamentales des conflits entre l’homme moderne et l’homme traditionnel – souvent appelé conflit entre science et foi*

(Cf. VLT N°71 p.22)

LES FONDEMENTS DE LA PENSÉE ÉVOLUTIONNISTE

L’Évolution fut une pierre semée dans un jardin bien préparé. Nous y verrons plus clair après une brève recension. Comme il n’y a rien de neuf sous le soleil, nous débuterons notre triste conte par Guillaume d’Ockham.

Né en 1290, Ockham fut l’un des premiers à se tromper sur la nature de l’âme. Non seulement il rejeta la libre volonté, mais dénia également à l’Intellect la possibilité de former des concepts universels. Il proclama avec ceux qui le suivirent – habituellement connus sous l’étiquette de « nominalistes » – que toute idée était une image réelle, c’est-à-dire, une impression de l’imagination par la perception sensorielle. L’erreur – partagée par pratiquement tous les « philosophes » modernes et les psychologues – fut pour les nominalistes de confondre l’image individualisée provenant de l’imagination avec le concept ou l’idée qui réside dans l’Intellect. Si l’on s’en réfère à St Thomas, la différence entre image et idée consiste en ce que les images sont des représentations des choses dans leurs singularité, particularité et caractère concret, tandis que les idées sont des représentations des choses dans leur universalité. En dépit de sa négation de « l’universel », Ockham continua à croire en Dieu. Mais il considérait sa croyance comme dépourvue d’objectivité, et sa foi était de nature « aveugle ». Je vous rappellerai que la Foi nécessite l’assentiment de l’intellect à la vérité et la « vision » (1) est la nature de cette faculté. L’acceptation du nominalisme empêche une telle « vision » et conduit inévitablement à une séparation entre ce qui peut être observé et mesuré, et ce qui est du domaine de la croyance. Il n’y a qu’un petit pas à franchir entre considérer le mesurable comme la totalité du réel, et rejeter des concepts comme le « bon » et le « beau » – pour ne rien dire de la Révélation – concepts situés au-delà de la mesure et donc perçus comme n’ayant pas de réalité mesurable – dans le domaine des convictions privées et subjectives où ils deviennent le jouet de nos sentiments ou de nos envies. Il n’est pas étonnant qu’Ockham vécut en rébellion contre l’Église et mourut, pour autant que l’on sache, sans la consolation de ses sacrements.

L’homme est de par sa nature même à la recherche de la vérité, de la nature et de l’objet de son existence. Le nominalisme interdit cette possibilité. Niant l’intellect, il nie à l’homme la possibilité d’abstraire à partir des choses de ce monde et de pénétrer leur réalité sous-jacente ; dépendant des phénomènes, ses seuls certitudes sont des approximations statistiques. La connaissance expérimentale a évidemment sa place et sa fonction, mais une fois déclarée seule source légitime de connaissance, elle prive l’homme de l’absolu et de l’accès à la nature de son être. La métaphysique est détruite, la connaissance sacrée tenue pour nulle, et l’homme est obligé de se détourner de la Révélation et de l’Intellect vers l’individualisme et le rationalisme. Coupé de ce qui est « au-dessus », il doit regarder vers ce qui est « en-dessous ». Descartes résuma cette déviation dans son « Cogito ergo sum ». La conscience individuelle du sujet pensant (ou plus précisément, son ego éphémère) fut montrée comme source de toute réalité et vérité ; le sujet connaissant – l’homme – fut en conséquence lié au domaine de la raison appliquée aux phénomènes et séparé à la fois de l’Intellect et de la Révélation. À partir de là le pas fut facile à franchir jusqu’au doute radical de Hume et à l’agnosticisme de Kant.

Une fois acceptée la position nominaliste, les scientifiques en vinrent bientôt à considérer l’univers physique – le monde mesurable – comme la totalité de la réalité. Tous le reste fut relégué dans des limbes ontologiques. Ce n’est pas, comme le Dr. Wolfgang Smith le fit remarquer, une découverte scientifique, mais une présomption métaphysique. Une fois ce pas franchi, l’homme considéra de plus en plus le monde phénoménologique, non plus comme un reflet de la Beauté et de la Bonté Divine, mais comme une horloge mécanique. Tel Képler (1571-1630), se faisant le porte-parole de son époque en disant que « tout comme l’œil fut fait pour voir les couleurs, et l’oreille pour entendre les sons, l’esprit humain fut fait pour comprendre, non pas ce qu’il lui plaît, mais la quantité ». René Descartes (1596-1650) donna à cette nouvelle manière de voir les choses une forme structurée. Le monde mécanique fut entièrement fabriqué de « res extensa » (2). Naturellement il continuait d’admettre le « res cogitans » (3), mais ceux qui vinrent après lui l’emprisonnèrent rapidement dans un ventricule du cerveau – le sensorium de Newton – puis l’éliminèrent en totalité. Dans le monde moderne, le « res extensa » – ou pour utiliser l’expression de Newton, la « matière » – est tout ce qui en reste.

« Le siècle des lumières » chercha à faire correspondre l’homme à ce schéma. Coupé de la Révélation de l’Intellect, l’homme fut réduit à une entité « autonome » – en définitive « auto-déterminée » et indépendante de Dieu. Nous arrivons ainsi au concept maçonnico-Rousseauiste de l’homme dont la « dignité » réside dans son « indépendance » – il est sa propre autorité et créé sa propre culture. Une nouvelle conception de la société apparut simultanément, basée sur un « contrat social » où la volonté de la majorité dicte « démocratiquement » la morale. Les « Droits de l’Homme » sont proclamés à l’exclusion des « Droits de Dieu ». On promet au monde une nouvelle Utopie où tout le monde sera Libre, Égal et Fraternel, un monde qui, grâce à la science et au progrès, sera si parfait que l’homme n’aura plus aucun besoin d’être bon. Le terme souvent utilisé pour résumer ces idées mal conçues est « humanisme », un mot absurde car un homme indépendant de sa « nature surnaturelle » n’est jamais intégralement un homme. Il va sans dire que l’Église s’est opposée à ces déviations. Un de ses arguments majeurs fut de dire que Dieu créa le monde et lui en confia le gouvernement. Et qu’arriva-t-il ? La théorie évolutionniste survint comme un cadeau « envoyé par le hasard », donnant aux humanistes et à leur semblable l’arbitrage de la « science ». Si l’humanité acceptait ces postulats, qui aurait besoin de Dieu et de l’Église ? Il n’est pas surprenant que certains Maçons (4), les Marxistes et les Modernistes firent tout ce qui était en leur pouvoir pour répandre ce nouvel «Évangile du diable ».

LES BASES NOMINALISTES DU RATIONALISME ET DE LA MÉTHODOLOGIE SCIENTIFIQUE :

Le nominalisme prépara le terrain pour que l’homme en arrive à cette vision aberrante de la nature et de la science. Sa négation de l’universel le conduit à renier la spécificité de la création de la nature. Une chose comme la conformité d’une espèce donnée à un archétype divin n’existe pas pour lui ; la création est vue plutôt comme un phénomène où une espèce se mélange à une autre dans un continuum évolutionniste.

Les modernes considèrent la raison comme la faculté humaine la plus élevée, mais insistent sur le fait que la raison ne peut être appliquée qu’à des faits mesurables et à la « soit-disant » expérience. Ceci est la caractéristique essentielle à la fois de la méthodologie scientifique et du rationalisme. À l’opposé, on enseigne traditionnellement que la raison n’est qu’une faculté discursive qui nécessite à la fois des prémisses correctes et une logique adéquate pour arriver à une conclusion valable. La vérité n’est pas dépendante de la raison mais plutôt, se révèle et devient explicite à l’aide de la raison. Aussi ne faut-il pas dire qu’une chose est vraie parce qu’elle est logique, mais plutôt qu’elle est logique parce qu’elle est vraie. Ce qui présuppose une faculté encore plus élevée capable de juger si les conclusions de la raison sont vraies.

Les « philosophes » modernes abordent ce problème en parlant de « principes rationnels », oubliant que les principes ne peuvent jamais dériver de la logique discursive. La raison ne peut pas prouver sa propre validité, car les principes doivent être saisis de manière intuitive ou supra rationnelle. Comme le disait Aristote, « on ne démontre pas les principes, mais on en perçoit directement les vérités ». Pour employer la terminologie scolastique, c’est l’intellect pur qui est l’habitus principorum, tandis que la raison n’est que l’habitus conclusionum. L’homme possède la raison et avec elle le langage, uniquement parce que, à la différence des animaux, il a accès au principe de la vision supra-rationnelle. C’est cette vision supra-rationnelle, Intellect ou vision intérieure, (1) qui donne à l’homme, non seulement le discernement, mais la conviction de sa propre existence en tant qu’être, et la confiance en sa capacité à raisonner de manière fonctionnelle. L’Intellect est une sorte de « voyance » et pas une conclusion, et c’est cela qui ouvre à l’homme la possibilité de certitudes métaphysiques. Cependant la raison, qui est un reflet de cet Intellect supérieur, peut recevoir son contenu – ce sur quoi elle raisonne – d’en haut ou d’en bas, de l’intérieur ou de l’extérieur. Elle peut recevoir ses prémisses de la Révélation ou des sens, de l’intellect ou du subconscient. Ces différentes sources, de manière individuelle ou en combinaison, « nourrissent » la raison et toute tentative pour supprimer une ou plusieurs d’entre elle, est arbitraire et irrationnelle.

Le plus important est que le nominalisme permet à l’homme de croire que ses facultés supérieurs lui ont été données pour l’étude des phénomènes et rien de plus. Il oublie que les merveilles de la nature lui sont données de sorte que par leur étude il puisse éveiller son intelligence et connaître son Créateur. Si les nominalistes ont raison, l’homme n’a pas d’intellect supérieur ; la raison et la logique sont inexplicables et peuvent seulement être appliquées à des phénomènes mesurables et à la soit-disant « expérience » – nos émotions et nos sentiments. Le résultat net d’un point de vue aussi limité est la « méthodologie scientifique » qui promet, avec du temps, de tout expliquer, et un « rationalisme » tronqué comme celui idolâtré par la Révolution Française. Ce qui n’est pas sous son égide est déclaré soit « irréel » soit « inconnaissable ». Exit la Révélation, l’Intellect et par définition , la métaphysique. L’homme est réduit à un animal rationnel qui peut mesurer et sentir, mais jamais connaître. C’est le rasoir tant vanté d’Ockham qui coupe nos « gorges métaphysiques ».

COMMENT L’ÉVOLUTION COMPLÈTE LE POINT DE VUE DE ROUSSEAU SUR L’HOMME ET SA NATURE

L’homme moderne se considère comme fait à l’image d’un protozoaire primitif. Pour pouvoir ajuster l’intelligence humaine au courant évolutionniste, l’esprit est réduit au mental, le mental au cerveau, et le cerveau à son tour à des structures anatomiques. Penser n’est qu’un processus « neurochimique », ou comme le dit l’évolutionniste Wolson, « un épiphénomène de la machinerie neuronale du cerveau », que l’homme pourra altérer et/ou améliorer au fur et à mesure de l’accroissement de sa compréhension. Le résultat net est que les psychologues modernes – Freud, Adler, Fromm, Maslow et Rogers qui sont tous évolutionnistes – nous disent que l’intelligence consiste en la raison, en l’habilité à employer des abstractions, la capacité à apprendre et l’aptitude à prendre en mains des situations nouvelles. Ceci-dit, en mettant la raison à part – et on dépense une énergie considérable à essayer de prouver que la raison existe chez les animaux – on trouve toutes ces capacités dans les formes de vie inférieures. On ne sera donc pas surpris de la phrase de Darwin selon laquelle « les animaux ont un intellect de proportion différente », et que « les facultés intellectuelles de l’homme ont été principalement et graduellement perfectionnées par la sélection naturelle… ». Il n’y a qu’un petit pas à franchir (quod absit) entre la capacité d’un oiseau à construire un nid ou à suivre les étoiles au cours de ses vols migratoires, et celle qui permet à l’homme de tenir un marteau. De même, on nous dit que les motivations et les croyances humaines trouvent leur origine dans un « subconscient » que l’on ferait mieux de nommer fosse d’aisance de la mémoire évolutionniste. On nous dit encore, que les motivations ultimes de l’homme sont la recherche de la sécurité, du plaisir, ou tout ce que l’on nomme « auto-activation » par la rencontre de « métabesoins ». la Vérité est ce qui est vrai pour l’individu ; la beauté est ce qui nous donne du plaisir ; et l’amour consiste à satisfaire des « besoins biologiques impérieux ». Au prix de la négation conjuguée de la logique et de l’expérience, tout ce qu’il y a de qualitatif en l’homme est déclaré génétiquement déterminé et se trouve réduit au mesurable et de ce fait à la matière. Tout est mesuré à cette aune. Rousseau affirma que l’homme sauvage progressait vers l’homme « civilisé ». Huxley accorda sa bénédiction scientifique à cette progression. « La grande progression de la nature part de l’informe vers le formé – depuis l’inorganique – de la forme aveugle vers l’intelligence consciente et la volonté ». Si l’on accepte ces prémisses, on peut alors être facilement convaincu que l’homme n’est qu’une forme supérieure de la matière et que Superman est en route. Ceux qui pensent autrement sont écartés et traités de « rêveurs » – comme si la matière pouvait rêver – dont tous les efforts sont matériellement vains.

La théorie évolutionniste admet implicitement que l’homme n’a pas de libre volonté. D’après Huxley « la position fondamentale de l’Évolution est que le monde entier, vivant ou inanimé, est le résultat de l’interaction mutuelle, selon des lois définis, des forces inhérentes aux molécules composant la nébulosité primitive de l’univers ». Après tout, comment quelque chose – noter que je ne dit pas « quelqu’un » – qui est le produit de lois rigides, lois qui contrôlent encore son développement futur, et qui n’a aucune liberté de quitter le processus évolutionniste – comment ce « quelque chose » peu-il être responsable ? C’est une autre devinette, suffisamment intéressante pour les Socialistes chez qui l’évolution prend la forme du « déterminisme historique ». Si la vie de l’homme est déterminée par l’évolution ou l’histoire, comment peut-il être libre ? En fait, évolutionnistes et déterministes proclament en cœur que l’homme est libre d’aider le processus vers la perfection ou l’utopie. Et comment un homme déterminé par l’évolution/histoire peut-il pécher ? De nouveau, il ne pèche que par opposition à ces mêmes forces. La constance et la rationalité ne sont pas requis par une foi aveugle et moderniste.

On peut se demander si les évolutionnistes vivent dans le monde réel ? Bien sûr, en pratique, chacun se considère comme un être responsable de ses actes, qui connaît, désire et aime, non pas avec l’obséquiosité apparente d’un animal apprivoisé, mais avec dévotion et sacrifice de soi-même ; comme une créature rationnelle qui peut conceptualiser et discriminer entre ce qui est vrai et faux, bien et mal, juste et injuste. L’admettre revient à dire que l’homme possède la certitude de sa propre conscience et de son être, et qu’il est davantage que de la matière. D’où certaines conséquences inévitables. Parler d’amour c’est parler connaissance, car on ne peut pas aimer ce que l’on ne connaît pas. Parler de connaissance c’est admettre la vérité, car on ne peut connaître ce qui est faux, mais seulement que c’est faux. (On peut admettre que l’intelligence soit dans l’erreur par la fausseté de son contenu, mais elle est alors erronée en tant que pensée et non en tant que connaissance ; parler de connaissance fausse serait aussi absurde que de parler de vision aveugle ou de nuit lumineuse). Et parler d’amour, de connaissance et de vérité c’est parler de quelque chose d’incommensurable, quelque chose du domaine de l’esprit. Ces facultés proviennent du « cœur » – non pas l’organe physiologique qui porte ce nom par analogie – mais le véritable point central de notre être – ce que les théologiens appellent l’âme. L’homme qui connaît et qui aime, et qui a la certitude de sa propre conscience et de son être, ne peut pas être réduit à des éléments chimiques et physiques – éléments qui ne sont en fait que des concepts de son propre esprit imposés au domaine de la nature. Ou bien un homme aime les pauvres parce qu’il voit en eux un autre Christ, ou bien il aime les pauvres parce que le parcours évolutionniste de son développement génétique ne lui laisse pas d’autres alternative. Si on choisit cette manière de penser on ne peut alors pas critiquer ceux qui haïssent les pauvres, encore moins ceux qui les exploitent.

Il faut parler de la destinée de l’homme selon l’évolutionnisme, comme nous la présente Huxley, « la destinée de l’homme a été éclairée par la biologie… l’homme peut maintenant se considérer comme la seule cause de progrès dans l’univers en général. Finalement avec l’aide de la théorie évolutionniste l’homme résoudra le problème du mal ». Alfred Russel Wallace nous donne de plus amples détails. Grâce à l’évolution « chacun pourra travailler à son propre bonheur en relation avec son entourage ; chacun sera libre de ses actes ; les dictatures disparaîtront car elles ne seront plus nécessaires… L’humanité aura découvert que la seule chose nécessaire était de développer les capacités de sa nature supérieure pour convertir cette terre… en un paradis aussi lumineux que dans les rêves des poètes et des devins ». Avec le point « oméga » au bout du chemin.

La théorie évolutionniste ignore que l’intellect et la volonté – ce que les théologiens traditionnels appellent l’âme – sont une substance immatérielle ou spirituelle, et que cet intellect a la possibilité de s’abstraire du courant évolutionniste pour pouvoir y réfléchir. Elle ignore que l’intellect peut connaître son propre être (conscience de soi), qu’il peut juger, et arriver à des certitudes, et connaître Dieu. Elle ignore qu’un corps sans âme n’est plus une personne vivante et que l’homme – à la fois corps et âme – est fait à l’image de Dieu. Elle ignore la doctrine de la Synteresis et que Dieu peut habiter dans l’âme humaine. Elle ignore que l’amour réside dans la volonté et que la volonté est libre – libre de rejeter la vérité aussi bien que de l’accepter. Elle ignore que l’homme vidé de ses fonctions intellectuelles – « indépendant de sa nature surnaturelle » – ne pourrait jamais être complètement humain. Elle ignore que l’homme qui rejette la vérité chute de son état élevé, « s’écarte de l’ordre », et commet un péché. L’évolutionnisme, comme la psychologie moderne, nous donne la liberté de nous damner en toute sérénité.

LES CONSÉQUENCE RELIGIEUSE DE LA CROYANCE EN L’ÉVOLUTION

Comme le déclare le professeur Jastrow de l’Université de Princeton, « ou bien la vie a été placé ici par le Créateur, ou bien elle a évolué à partir de molécules non-vivantes selon les lois de la physique et de la chimie. Il n’y a pas de troisième voie ; cela a du être l’une ou l’autre ». Les enfants élevés au régime évolutionniste depuis leur plus jeune âge acceptent presqu’invariablement la seconde hypothèse. Ils sont facilement convaincu – ou devrais-je plutôt parler de « lavage de cerveau » – que comme le dit l’Encyclopédia Britannica : « Darwin fit deux choses : il démontra que l’évolution était un fait venant contredire les légendes écrites sur la création, et que sa cause, la sélection naturelle, était automatique, sans place pour une direction et un dessein divin ». Il n’est pas étonnant que lors d’un sondage récent, 46,9% des personnes interrogées déclarèrent ne pas aller à l’Église parce qu’elles croyaient en l’évolution.

Ceux qui prétendent que Dieu se sert de l’évolution doivent nous dire quelle sorte de Dieu choisirait de créer l’homme par « hasard » et pourquoi il dut sortir du processus évolutionniste à un certain moment de l’histoire pour créer l’âme ? De même, quelle sorte de Dieu emploierait la « sélection naturelle » pour arriver à ses fins ? La sélection naturelle – la loi de la jungle – suppose que les malades ou autres inadaptés soient éliminés en faveur des formes de vies plus fortes et peut-être plus brutales. Mais s’il en est ainsi, comment l’homme évolutionniste ose-t-il s’interposer pour aider les faibles et les canards boiteux ? Dans un tel schéma il n’y a pas de place pour la charité. Un Dieu évolutionniste, un Dieu qui met en route le processus et le laisse ensuite se débrouiller, n’est pas un Dieu personnel, et il ne peut répondre à nos prières. Comme le disait Julian Huxley, « toute perception de Dieu en tant qu’être personnel est franchement insoutenable… La connaissance humaine n’a laissé aucune place dans l’univers pour une telle idée. Tous les vestiges de la création de la terre et des étoiles, des plantes, des animaux et de l’homme – fut balayé par Darwin dans la corbeille à papier des imaginations périmées, déjà bien remplies avec les débris des âges précédents ».

Les catholiques ont un problème particulier avec l’évolution, même dans ses formes mitigées ou théologiques. La foi les oblige à accepter la doctrine de la création « ex nihilo ». Écoutons la déclaration de Vatican I :

« Si quelqu’un n’admet pas que le monde et tout ce qu’il contient, à la fois de spirituel et de matériel, a été produit dans la totalité de sa substance, par Dieu à partir de rien, qu’il soit anathème ».

De même, la théorie évolutionniste nie implicitement la doctrine du Péché Originel, de la Chute, du besoin d’un Rédempteur pour notre rédemption, l’Immaculée Conception, la raison en tant que fonction et la possibilité de sanctification pour l’homme.

Ceux qui voudraient mélanger leur croyance religieuse avec la théorie évolutionniste doivent en accepter les conséquences. Croire dans l’évolution et le progrès implique inévitablement tout un train de conséquences :

  1. que l’homme en tant qu’homme est perfectible sans référence à sa nature surnaturelle ;
  2. que la nature de l’homme et ses capacités ne sont pas supérieures à celles qui ont évolué hors de la matière ;
  3. que l’homme, n’ayant pas d’intellect, ne peut ni se connaître ni connaître son Créateur, ne peut porter aucun jugement valable ni accepter l’existence de vérités absolues ;
  4. que l’homme n’a pas de libre volonté donc ne peut ni pécher ni avoir une « nature déchue » ;
  5. que l’homme n’a pas besoin d’un Rédempteur car il est la source de sa propre rédemption ;
  6. qu’avec le temps la société se perfectionnera au point que l’homme n’aura plus besoin d’être bon ;
  7. que toute connaissance valable doit être atteinte au travers de la « soit-disant » méthodologie scientifique, et que ce qui n’est pas mesurable n’a pas de réalité ;
  8. que la religion doit constamment s’adapter aux dernières étapes de l’évolution et du progrès, et que l’homme ne peut savoir ce que Dieu désire pour lui qu’au travers de la lecture des « signes des temps » ;
  9. que la raison majeure de la religion est d’aider l’homme sur son chemin évolutionniste.

Si nous acceptons l’hypothèse évolutionniste comme vraie, le phénomène humain – la capacité de l’homme à aimer, à connaître, à vouloir et à être responsable – est inexplicable.

Ce ne sont pas les religions traditionnelles, mais l’évolution et le progrès qui sont les opiums de l’homme moderne. Il n’y a pas de conflit véritable entre la science et la foi en tant que telle, mais un conflit irréductible entre ceux qui acceptent les valeurs traditionnelles et ceux qui croient aveuglément à « l’illusion transformiste », sur laquelle le soit-disant « point de vue scientifique moderne » est bâti. Ceux qui rêvent d’aider l’humanité ou de bâtir un monde meilleur seraient bien avisés de ré-examiner les bases de leur raisonnement, car il ne peut y avoir d’action valable hors de la vérité et nul salut possible – que ce soit dans ce monde ou dans un autre – sans retour aux valeurs traditionnelles.

Rama Coomaraswamy

(Traduction : Yannick Bénard)

NOTES

  1. Nous pensons « intuition » (N.D.T.)
  2. « corps étendus » (N.D.T.)
  3. « chose pensante » (N.D.T.)
  4. l’auteur semble parler des Maçons déviés, car « Modernistes » (N.D.T.)